Les commentaires des lecteurs

Armand Lemonnier: « C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu tous les livres écrits par Bernard Charon. Non seulement, ils se lisent facilement mais présentent aussi l’avantage de resituer dans leur contexte les évènements relatés. Ils sont très bien documentés et, comme ancien professeur d’histoire-géographie, je ne peux que les recommander vivement pour leur qualité historique et littéraire ».

Dominique Binault : « Bernard Charon est tout ensemble, historien, pédagogue et conteur.

Dans ses livres rien qui ne soit démontré, prouvé. Mais le scientifique sérieux excelle à rendre la vie aux périodes et aux personnes qu’il étudie. Ses ouvrages précis et sobres sont passionnants. On rêve d’être l’élève d’un tel instituteur ».

Liliane Leroux : « L’ouvrage intitulé « Le Tréportais GILBERT TESTELIN, un policier en résistance » m’a permis de faire la connaissance de Bernard Charon.  Son livre est très bien écrit, clair, très documenté, très bien illustré et se lit aisément. Il relate avec précision et admirablement bien cette sombre période de notre Histoire.

 La Résistance, période terrible avec la déportation, la torture, infligées par l’ennemi, la mort rôdant sans cesse ; et malgré tout période exaltante lors de missions réussies et de vies sauvées.  Les nombreux documents et photos figurant dans cet ouvrage ne sont pas des montages, car les originaux existent réellement.

Bernard Charon a parfaitement ciblé le personnage mis à l’honneur dans son livre. Il s’agit de l’un de ces « héros de l’ombre » (policier de surcroît) qui de par sa modeste contribution dans la Résistance a participé à faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui, à savoir :  Des Français Libres.

Ouvrage très instructif à lire absolument, et je remercie vivement monsieur Charon d’avoir « mis au soleil » ces « héros de l’ombre » qui ont œuvré pour la Liberté, afin qu’ils ne deviennent à jamais des prisonniers de l’Oubli ».

Michel Bilon : « Historien à mes heures sur la ville du Tréport, j’ai fait connaissance de Bernard Charon lors de la conférence sur Rachel Salmona, donnée au collège du Tréport, puis au salon du livre de la ville d’Eu. Tréportais d’origine, des points communs se sont révélés, je me suis vivement intéressé à ses écrits et en particulier à ceux relatifs à la Seconde Guerre mondiale qui ont affecté ma petite enfance.

Bernard est un historien, il rapporte avec des propos méticuleux les faits vécus, mais c’est aussi un enseignant et pour comprendre son histoire il nous rappelle la « Grande » qui se déroulait en parallèle à la sienne. Il rafraîchit la mémoire de toutes et de tous, dans cette période que nous vivons et qui en a bien besoin »

René et Marguerite (76) / respectivement enseignant spécialisé et professeur d’histoire / :

Les ouvrages de Bernard Charon participent du devoir de mémoire lié aux manifestations fascistes de l’Allemagne nazie en Haute Normandie pour ce qui concerne la période de la seconde guerre mondiale. D’autres ouvrages permettent d’illustrer localement d’autres périodes de notre histoire telle la révolution française avec les cahiers de doléances ou des parcours plus personnels liés à des personnages locaux. Ces écrits sont très accessibles, clairs et très bien documentés. Ils ont la particularité d’évoquer des moments historiques proches géographiquement qui permettent d’illustrer des faits connus plus nationalement par les générations nouvelles.

Marie-José Van Gheluwe : «  Ce que je sais n’est rien en comparaison de tout ce qu’il me reste à apprendre« . Tels seraient les mots que pourrait vous dire Bernard Charon. D’une curiosité sans cesse plus vaste à l’égard de nombreuses recherches historiques, en particulier sur la deuxième guerre mondiale, Bernard Charon dans des Archives, cueille une phrase par-ci, une citation par-là, ou, découvrant des parcours de vie, a pu accumuler de formidable trésors de vérités historiques.

Et de toutes ses recherches qu’il a patiemment étudiées, il en a fait des livres joliment écrits et si intéressants qu’ils ont suscité de réels échos parmi de nombreux lecteurs et professeurs.

L’annonce d’un nouvel ouvrage est toujours accueillie avec impatience tant la passion de cet érudit est communicative ».

Victor Hugo l’européen

Discours de Victor HUGO au Congrès de la Paix de 1849 :
Un jour viendra où la guerre paraitra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersburg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraitrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne (…). Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le Parlement est à l’Angleterre, ce que la Diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France.

Source : Le Taurillon, Histoire du fédéralisme européen

Soeur Adèle et le petit Bourgneuf

Nous sommes le 24 décembre 1890. Le petit Isidore Bourgneuf se met à subler (siffler) dans la classe de l’école congréganiste de Fercé, dans la Sarthe. La soeur Adèle Poulain met l’enfant dehors, tête nue, pendant une demi heure.  Ce jour-là, la neige est épaisse dans la cour de l’école et le froid est intense.

Le soir, Isidore en arrivant chez lui ne se sent pas très bien. Ses parents le couchent et tentent de le soigner. Quelques jours plus tard, son état s’étant aggravé, les parents font appel à un médecin qui diagnostique une double pneumonie.

Malgré les soins prodigués, Isidore meurt le 8 janvier 1891. Le médecin qui l’a examiné est formel : la mort est la conséquence directe de la punition infligée à Isidore par la soeur Poulain.

Le village va se partager en deux camps : les parents Bourgneuf, un adjoint au maire et deux autres personnes rédigent une lettre au Préfet pour lui faire part de l’événement. Le Maire et la quasi totalité de ses administrés envoient lettres et pétitions pour défendre la soeur Poulain, allant jusqu’à affirmer qu’Isidore était absent de l’école le 24 décembre.

L’Inspecteur d’Académie, M. Delépine, priera l’Inspecteur primaire de mener une enquête sur place. Il reviendra d’ailleurs une seconde fois.

Que s’était-il passé réellement ? Pourquoi certaines personnes exigeaient-elles le départ des congréganistes ? Une loi, votée le 30 octobre 1886, la loi Goblet, jouera un très grand rôle ici.

Qu’est devenue la soeur Poulain ? Et que sa passera-t-il ensuite à l’école de Fercé ?

VCe livre vient de paraître. Il évoque cette étrange affaire. M’appuyant sur des documents trouvés aux Archives de la Sarthe, je pourrai apporter des réponses aux questions posées, parler du renvoi des congrégations, de la laïcisation du personnel (Instituteurs-trices des écoles primaires), de la loi de Séparation des Églises et de l’État, de la laïcité….

…et même de l’affaire des fiches qu’on ne peut pas dissocier de l’affaire Dreyfus

Bien à vous

Bernard Charon

Laïcisation de l’école de filles de Saint-Rémy-de-Sillé

St-REMY-de-SILLÉ-72-Ecole

Laïcisation de l’école de filles de Saint-Rémy-de-Sillé [Sarthe]

La lettre de l’Inspecteur primaire de Sillé-le-Guillaume à l’Inspecteur d’Académie

[3 septembre 1895]

Depuis le 30 octobre 1186, la loi Goblet s’appliquait dans les écoles de France. À Saint-Rémy-de-Sillé, en ce mois de septembre 1895, l’école de filles n’avait pas encore été laïcisée. Elle était loin d’être la seule dans ce département de la Sarthe. La lettre de l’Inspecteur primaire de Sillé-le-Guillaume à l’Inspecteur d’Académie, datée du 3 septembre 1895 nous dira pourquoi et quels auront été les obstacles qui empêchaient cette laïcisation.

« Monsieur l’Inspecteur,
J’ai l’honneur de vous transmettre les renseignements que vous m’avez demandés sur la situation de l’école de filles de la commune de Saint-Rémy-de-Sillé.
Conformément aux indications contenues dans mon précédent rapport je suis obligé de reconnaître que cette école est l’une des plus mauvaises de ma circonscription au double point de vue de l’organisation pédagogique et du progrès des études. La titulaire, malgré les efforts de l’Inspection n’a voulu tenter aucun effort. Non seulement, elle est incapable, mais encore d’une mauvaises volonté obstinée. Elle ne fait la classe que par intermittence sans aucune espèce de succès.

Les familles n’ont donc pas tort de s’alarmer de cette situation. Plusieurs pétitions ont été, m’a-t-on dit, adressées à M. le Préfet à ce sujet par des familles honorables.

J’ai vu à ce sujet M. le Maire de Saint-Rémy. M. Bourdin m’a déclaré que la question des sœurs avait été agitée au conseil municipal à la session d’août ; que plusieurs membres avaient nettement déclaré que les jeunes filles n’apprenaient rien, mais qu’aucun n’a voulu prendre l’initiative d’une démarche pour demander leur changement ; d’ailleurs le conseil est incomplet et chacun tient à rester en dehors de cette question.

 Depuis m’a ajouté M. le Maire, l’adjointe est venue me trouver pour l’informer que sa congrégation avait obtenu pour la rentrée de M. le Préfet et de M. l’Inspecteur d’académie, l’autorisation d’avoir une auxiliaire qui remplacerait la titulaire dans ses fonctions d’enseignement. Devant cette promesse, M. Bourdin n’a pas jugé de s’occuper « ni bien ni guère » de légaliser les signatures d’une pétition qui lui a été présentées parmi lesquelles figuraient les noms de trois conseillers municipaux. En somme je crois que le Maire de Saint-Rémy n’est pas un chaud partisan d’une laïcisation.

De mon côté, je continue à penser qu’il y a lieu de profiter de l’occasion favorable qui est offerte pour laïciser l’école de filles de St Rémy.

Veuillez agréer, etc.

L’Inspecteur, E. Robert

Une pétition des parents d’élèves

Le même jour, le Préfet de la Sarthe – plus exactement son chef de cabinet – transmettra « pour communication » à l’Inspecteur d’Académie, une lettre-pétition émanant d’habitants de la commune en question, sans aucun doute celle à laquelle l’Inspecteur faisait allusion – cf ci-dessus.

Cette pétition n’est pas datée. Elle a vraisemblablement été établie et signée en juillet- août 1995

« Monsieur le Préfet du département de la SartheVoici donc le texte complet de cette pétition :
Les soussignés cultivateurs et pères de jeunes filles fréquentant l’école congréganiste de cette commune ont l’honneur de vous exposer ce qui suit : « Depuis vingt années que les classes de jeunes filles sont dirigées par les Sœurs, elles n’ont jamais produit que des fruits secs et il ne peut en être autrement puisque le directrice bientôt septuagénaire, n’a jamais possédé aucun diplôme et ne saurait personnellement faire arriver un enfant au simple morceau de papier qu’on appelle « Certificat d’études [1]» aussi, Monsieur le Préfet, vous comprendrez combien il est regrettable pour nos pauvres enfants de perdre ainsi leur temps ; ce temps si cher et qui ne se retrouvera pas.

Ce n’est pas, Monsieur le Préfet, la première réclamation que nous faisons à ce sujet, et que nous demandons à grands cris une institutrice laïque, qui sera, nous en sommes assurés, à la hauteur de la mission mais nous avons toujours trouvé devant nous d’honnêtes gens, il est vrai, mais aimant trop « le bon vieux temps » aussi, nous nous sommes décidés cette fois de nous adresser directement au Chef du département, estimant que notre requête sera examinée avec attention et qu’après s’être rendu compte de la façon dont est donné l’enseignement dans cet établissement, Monsieur le Préfet n’hésitera pas à donner satisfaction aux nombreux pères de famille qui voudraient tous bien, que leurs enfants profiteraient des bienfaits de la République [sic].

Les soussignés prient Monsieur le Préfet de vouloir bien agréer leurs hommages les plus respectueux.

Suivent les signatures de : Auguste Desnoz, Tirot Pierre, Lebourdain, Ladurée, Paris, Sevin, P. Lefeuvre, Guéranger François, E. Corbin, P. Bamas [?], Goyant, Cochet, Foucault Constant, Guiet Julien, Ragat Louis, Louvière, A. Jupin, I ou J. Brault, E. Leguy, Ory, Charbonneau  François, Rondeau Joseph, Pattier, Tessier Isidore.

Après ces signatures, nous pouvons lire :

« Si Monsieur le Préfet ne trouve pas assez de signatures, nous le prions d’avoir la bonté de faire une enquête qui nous sommes certains sera favorable à notre demande et déterminera Monsieur le préfet à agréer notre pétition ».

Cette lettre-pétition, reçue par la Préfecture, aura sans aucun doute été envoyée à l’Inspecteur primaire de Sillé-le-Guillaume avec demande expresse de mener une enquête sur place.

Le 19 septembre, soit 19 jours après l’envoi de la lettre-pétition à l’Inspecteur d’Académie par la Préfecture, M. E. Robert – l’Inspecteur primaire de Sillé-le-Guillaume, donc, enverra un courrier à son supérieur hiérarchique.

L’avis de l’Inspecteur primaire :
Sillé, le 19 septembre 1895

L’Inspecteur primaire de Sillé-le-Guillaume à M. l’Inspecteur d’Académie

Monsieur l’Inspecteur,

J’ai l’honneur de vous retourner le dossier ci-joint relative [sic] à la nomination d’une auxiliaire à l’école congréganiste de Saint-Rémy.

Jusqu’ici ces sortes d’autorisation étaient accordées à des maîtresses congréganistes momentanément mises dans l’incapacité de remplir leurs fonctions par suite de maladies dûment constatées.

Or je ne sache pas que la titulaire de l’école des filles de Saint-Rémy soit malade. Elle est incapable, d’où les plaintes qui ont demandé son remplacement par une maîtresse laïque.

Conformément aux conclusions de mes précédents rapports, je ne puis donner un avis favorable à cette demande et je persiste à estimer qu’il y a lieu de laïciser l’établissement. Veuillez agréer, Monsieur l’Inspecteur, l’hommage de mon plus profond respect.

                                                                                            L’Inspecteur primaire : E. Robert

 Ainsi, la sœur Cordier était malade ou feignait de l’être, d’après M. Robert, l’inspecteur primaire. C’était cette maîtresse dont parlait les parents d’élèves dans leur lettre-pétition du [non datée, sans doute écrite en juillet ou août 1895]. Une congréganiste incapable d’être institutrice, non diplômée et qui avait été nommée là, à l’évidence, grâce à une lettre d’obédience.

Nouvelle lettre de l’Inspecteur primaire de Sillé-le-Guillaume, datée du 14 octobre 1895, à l’Inspecteur d’Académie :Le journaliste, Charles Deulin, n’appréciait guère le fait que l’on confiât des enfants à des religieuses, aussi pieuses et charitables fussent-elles, mais… ignorantes ! Rappelant que la lettre d’obédience est une « autorisation donnée, après un examen dérisoire, par les supérieures de communauté »…  ainsi que par les prélats. Et la sœur Cordier est une ignorante, comme le précisaient les parents d’élèves. Elle n’avait « jamais produit que des fruits secs », comme l’écrivaient les parents d’élèves.

On remarque que l’Inspecteur primaire a ajouté la mention : « confidentiel » en marge de la lettre qu’il aura envoyée ce 14 octobre 1895 à l’Inspecteur d’Académie du département de la Sarthe
On m’apprend que la titulaire de Saint-Rémy est dangereusement malade [2] et qu’une issue fatale est à prévoir dans quelques jours. Il y a donc lieu de surseoir soit à une laïcisation, soit à l’envoi d’une auxiliaire, au moins pour le moment [3].« Monsieur l’Inspecteur,

En cas d’une mort qui me paraît probable, une laïcisation s’impose et j’ai dû me préoccuper de cette question et voir si dans le personnel des institutrices de ma circonscription il s’en trouverait une capable de réussir à Saint-Rémy

Il faudrait dans cette commune une seconde mademoiselle Puissat, c’est à dire une maîtresse assez âgée, de mise modeste, laborieuse et dévouée pour relever la classe qui est totalement tombée.

Après examen, je ne vois mademoiselle Léger de Coulombiers [4] qui remplit les conditions. Voudra-t-elle accepter ce poste ? Je crois que oui, car cela la rapprocherait de Sillé, ou de Parennes [5] dont elle est originaire.

Vous devez avoir dans votre personnel des institutrices qui les valent peut-être et qui réussiraient aussi bien qu’elles. L’inconvénient est que ne les connaissant pas, il me serait difficile d’avoir sur elles la même influence que sur une que j’inspecte depuis plus de dix années. On pourrait toujours facilement remplacer mademoiselle Léger à Coulombiers.

À défaut de mademoiselle Léger, je ne vois que mademoiselle Gouin, adjointe à Sillé qui pourrait convenir à Saint-Rémy. C’est une jeune fille modeste, de tenue simple, une vraie institutrice de campagne. Elle est instruite, possède le brevet supérieur, [illisible…….] elle, sa sœur, elle est de plus énergique et bonne institutrice ; enfin elle me paraît remplir bien des conditions pour réussir – mais elle n’a que 24 ans. Peut-être penserez-vous qu’elle est trop jeune ?

On vous parlera peut-être de Mademoiselle Morin qui a exercé à Teunie. Cette maîtresse ne manque pas de qualités, mais son dévouement à Teunie n’a été que relatif et a été cause en partie de la décadence de son école.

Il faut à Saint-Rémy une institutrice qui maintienne l’effectif actuel et empêche les enfants de venir à Sillé où il existe deux écoles congréganistes privées, celle de l’Hospice et celle de la Pension. Je ne crois pas que mademoiselle Morin soit de taille à empêcher cette désertion.

Enfin, il pourrait se faire qu’on intriguât en faveur de mademoiselle Aubin, dévouée sœur de M. Aubin, instituteur actuel de Saint-Rémy. Je ne crois pas que ce choix fut convenable. Mademoiselle Aubin est maladive. De plus elle a déjà été dans le canton à Parennes. Enfin le voisinage de son frère ne serait pas pour lui attirer des sympathies. J’ai grand’ peur même qu’on ne découvre plus tard M. Aubin comme instigateur des pétitions faites pour demander le départ des sœurs. Ce qu’il y a de certain c’est que c’est l’un des amis de M. Aubin, Mr Ragot de la Fripière [6] qui s’est chargé de récolter les signatures et de les envoyer à la Préfecture.

J’ai cru de mon devoir, Monsieur l’Inspecteur, de vous faire connaître cette situation pour éclaircir votre religion au moment où vous prendrez une décision à ce sujet.

Veuillez agréer…                                                                             L’inspecteur, E. Robert »

Après voir lu ce courrier, nous comprenons bien les raisons pour lesquelles son rédacteur avait porté en marge la mention « confidentiel ».

Le 20 octobre suivant, l’Inspecteur annoncera le décès de la sœur Cordier :

« J’ai l’honneur de vous informer que madame Sœur Cordier, institutrice à Saint-Rémy-de-Sillé est décédée le 19 à une heure du soir.

Elle a été inhumée aujourd’hui ».

Lettre suivie d’un autre courrier :

« Monsieur l’Inspecteur d’Académie,

J’ai le douloureux devoir de vous informer du décès de Sœur Antoinette Cordier en date du 19 courant.

Aussitôt que je serai prévenue de l’arrivée de la nouvelle Titulaire, je me retirerai. Mais je vous serais reconnaissante, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, de bien vouloir nous accorder un délai d’une quinzaine de jours, afin que nous ayons le temps de faire rentrer ce qu’on nous doit pour les objets classiques que nous avons fournis aux élèves.

            Veuillez agréer etc.

                                                                               Sœur Courqueux, Institutrice Adjointe »

Ainsi, grâce à cette lettre, nous apprenons :

  • que la sœur Cordier avait une adjointe, la sœur Courqueux.
  • que cette même sœur Courqueux déclare accepter de partir et de céder la place à une titulaire. On peut penser qu’elle savait, comme sa Congrégation, que l’école allait être laïcisée. Elle consentira à lui céder la place, demandant un petit délai pour récupérer ce qui a été prêté aux élèves.

Cette même sœur Courqueux recevra une lettre de l’Inspecteur d’académie, courrier daté du 28 octobre, soit 9 jours après la date du décès de la sœur Cordier. Le brouillon de ce courrier est classé dans les archives du Mans, parmi le dossier qui concerne la laïcisation des écoles de filles de la Sarthe :

 « Mme Sr Courqueux, Institutrice à St Rémy de Sillé

J’ai l’honneur de vous faire connaître que, par arrêté en date du 26 octobre courant, M. le Préfet a prononcé la laïcisation de l’école de filles de St Rémy de Sillé.

Cet arrêté aura effet à partir du 4 novembre prochain.

Je vous prie de vouloir bien tenir les locaux scolaires à la disposition de la nouvelle institutrice pour le 4 novembre.

Recevez… »

Quant à l’arrêté lui-même, il est bien présent dans le dossier de laïcisation des écoles de filles congréganistes de la Sarthe, dans le sous-dossier de Saint-Rémy-de-Sillé.

L’école de filles de Saint-Rémy-de-Sillé aura donc été laïcisée ! Un petit délai aura été accordé aux congréganistes, plus exactement à la sœur Courqueux, restée seule après le décès de sa consœur.

L’école congréganiste aura été laïcisée le 26 octobre 1896 mais l’arrêté ne sera entré en vigueur que le 4 novembre suivant.

[1]/ Le certificat d’études faisait l’objet d’un examen dans divers « centres » répartis dans les principales communes du département. J’ai souhaité retrouver la mention d’Alice Charon, sœur aînée de mon père Jean Charon. Selon ce dernier, elle avait réussi cet examen. Aux archives départementales de la Sarthe, où je suis allé en septembre 2016 et 2017, je n’ai pas retrouvé son nom mentionné dans les listes que j’ai eues sous les yeux. A-t-elle réellement obtenu ce « certif’ » ? C’est possible. J’ai constaté, en lisant ces listes de candidats qui mentionnent sir celui-ci a été admis ou non, que l’on pouvait passer ce certificat d’études dans un centre d’examen éloigné de sa commune. Par exemple, j’ai constaté que deux garçons du Mans ont été candidats à Saint-Calais et qu’au Mans, un centre d’examen avait été ouvert spécialement pour les enfants venus de la campagne.

Étant donné que les moyens de transport étaient limités, on peut penser que certaines familles, quelques jours avant la date du certif’, conduisaient la ou le candidat chez un parent proche d’un centre où ils l’avaient préalablement inscrit. Ce parent ayant la charge, dans sa charrette tirée par un cheval, d’amener la ou le candidat au petit matin au centre d’examen. Cette pratique était largement utilisée.

[2]/ Cette sœur Cordier était donc réellement malade, contrairement à ce que l’Inspecteur primaire avançait dans son précédent courrier. Aurait-elle été ébranlée par le fait que son incapacité à enseigner avait été signalée au Préfet par des parents d’élèves ? Avait-elle été victime de la tuberculose ? De la « phitise galopante » comme l’on disait dans ces années-là ?

[3]/ Au moment de la naissance de Jean – qui deviendra mon père – Marie Charon, épouse de Joseph Tollet, avait obtenu un congé de 15 jours sur production d’un certificat médical établi par le docteur Gigon de Saint-Calais. L’Inspecteur primaire, transmettant à l’Inspecteur d’Académie au Mans la lettre que Joseph avait écrite pour demander ce congé, accompagnée du certificat médical, avait pris soin de préciser à son supérieur hiérarchique qu’une suppléante, d’ailleurs expressément demandée par mon grand-père, était totalement inutile !

[4]/ Il ne s’agit pas d’une noble, mais d’une institutrice laïque qui enseignait alors à l’école de filles de Coulombiers, village situé dans le canton de Sillé-le-Guillaume.

[5]/ Parennes est également une commune sarthoise du canton de Sillé-le-Guillaume.

[6]/ La Fripière est un des hameaux de Saint-Rémy-de-Sillé.

1912 : Suzanne Fromencourt et les parents de Paul Paray.

Le Tréport : rue de la Batterie, le magasin des parents de Paul Paray

Ma mère, Suzanne Fromencourt, a noté l’année au dos du cliché : 1912. Elle avait donc 12 ans ou allait les avoir : elle était née le 17 juillet 1900 à Hodeng-au-Bosc. Elle a d’ailleurs indiqué son prénom sur le cliché (ce que je regrette un peu). On peut penser que les deux personnes à gauche derrière elle sont Auguste Paray et son épouse Hortense (Hortence sur son acte de naissance) née Picard, fille de la « veuve Picard » née Séry, personnage haut en couleur qui tenait un café « A la veuve Picard » où elle accueillait des matelots. Elle y faisait régner l’ordre. Pas de paroles grossières, pas de chansons gaillardes. Elle n’hésitait pas, paraît-il, à taper sur la table du plat de la main si elle percevait quelque écart de langage ou de conduite.

 

Dans leur magasin, les Paray vendaient les objets en ivoire réalisés par Auguste, et les classiques « souvenirs » commercialisés dans toutes les stations balnéaires. C’était un petit bazar en quelque sorte.

 

Les Paray ont traversé la rue pour s’installer à l’hôtel des Bains et de France. Dans cet hôtel-restaurant, Auguste s’occupait des comptes, de l’accueil de la clientèle, des achats et du choix des vins. Il composait de la musique. Il tenait l’orgue de l’église Saint-Jacques du Tréport. Il est l’auteur et compositeur du chant « Ô mon Tréport ».

 

Quant à Hortense, elle dirigeait le personnel et les cuisines, n’hésitant pas à mettre la main à la pâte.

 

A cette époque, les officiers-marins, venus notamment du Royaume uni, étaient nombreux dans l’établissement des Paray.  Ils « apportaient la fièvre typhoïde » m’a précisé Suzanne. Hortence Paray récupérait les restes des repas de clients dans les assiettes de ces derniers et en faisait des boulettes… cela servait de repas pour le « personnel ». Suzanne a contracté la typhoïde. Soignée par les religieuses du Tréport – les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul – elle leur doit d’être restée en vie.

 

« J’ai été malade très longtemps, m’avait-elle précisé, j’étais au bord de la mort. Les religieuses ont déposé quelques gouttes de champagne à l’aide d’une petite cuillère, sur mes lèvres ». Le vin médecin ?  « Je m’en suis tirée très difficilement, a-t-elle ajouté. Et j’ai guéri, mais il a fallu un certain temps pour me rétablir. Bien entendu, je ne suis pas retournée chez les Paray. Plus tard, j’ai travaillé comme femme de chambre chez les Desjonquères, le patron de la Verrerie ».

 

J’ai lu – dans une biographie de Paul Paray, me semble-t-il écrite par l’une de ses filles – qu’Hortence – à l’instar de sa mère – était redoutée par la clientèle, notamment par les officiers anglais. A l‘Hôtel des Bains et de France, on n’acceptait pas les couples dits illégitimes. Il ne s’agissait pas de sortir le soir au-delà d’une heure précise. Hortence les rappelait à l’ordre.

 

Par dérision, les Tréportais parlaient de l’Hôtel du Sacré-Cœur.

 

Ma mère se souvenait bien de Paul : « Il jouait merveilleusement bien du piano » m’avait-elle dit. Mais elle ne m’a jamais parlé de son prix de Rome. Détail amusant : la dernière sœur de ma mère, Geneviève, décédée en 2011, avait épousé Lucien Picard, fils de Joseph Picard, coiffeur tréportais, rue de l’Anguainerie, qui affirmait : « nous sommes des petits cousins de Paul Paray » .

 

C’est désormais vérifié. Un certain Jean François Théry PICARD – qui a vécu entre 1760 et 1820 (à peu près) – s’est marié 3 fois. Joseph PICARD descendait du Ier lit et Hortence du 3ème.

 

Bernard Charon